L’accessibilité, mis en boîte avec Guy Tisserant, écoutez donc le podcast
19/12/2023
Emma Estrade : C'est le moment.
Guy Tisserant : Allez, allons-y !
Emma Estrade : Ma première question, c'est comment passe-t-on de n°1 mondial en paratennis de table et quatre titres de champion paralympique à créateur d'une entreprise spécialisée en handicap, singularité, non-discrimination, égalité femmes-hommes ?
Guy Tisserant : Comment on fait ça ? En fait, j'étais effectivement sportif de haut niveau pendant une vingtaine d'années : j'ai participé quatre fois aux Jeux paralympiques, j'ai gagné quatre médailles d'or et trois médailles d'argent aux jeux. Après ma carrière sportive en tant que joueur, j'ai été assez intéressé par rendre un peu à mon association ce que mon association m'avait apporté. Et donc j'ai été élu président du club de tennis de table dans lequel je jouais et, du coup, on en a profité pour créer avec mon épouse une section handisport. Donc on a organisé plusieurs compétitions internationales successives dont, en 2004, ce qu'on a appelé la World Single Cup, la coupe du monde de tennis de table avec tous les meilleurs joueurs du monde qui étaient présents. Et moi, étant président, j'avais comme rôle de trouver des partenaires pour financer l'organisation de la compétition. Et à cette époque-là, j'avais un peu envie de changer d'horizon, ça faisait un petit moment que je me questionnais là-dessus et j'avais notamment envie de trouver une activité - ce qui aurait un peu plus de sens pour moi, je vais le dire comme ça. Donc je réfléchissais à ça, et puis on organise cette compétition mondiale et, à ce moment-là, je rencontre des entreprises en leur disant : est-ce que vous voulez être partenaire de cette compétition ? Et ils me disent : « On veut bien, pourquoi pas, mais en fait, ce qu'on voudrait surtout, c'est être meilleur et faire mieux sur le sujet de l'emploi des personnes handicapées sur la non-discrimination, l'égalité des chances pour les personnes handicapées et on ne sait pas du tout comment s'y prendre ; est-ce que vous connaîtriez quelqu'un qui pourrait nous aider là-dessus ? L'idée n'a fait qu'un tour dans ma tête, je me suis dit : « Voilà, je cherchais une idée pour faire autre chose, donc quitter mon milieu de l'informatique et trouver une autre activité qui me plaise pour en faire mon job. Et voilà comment je suis passé de sportif et salarié dans le domaine de l'informatique à chef d'entreprise dans ces domaines.
Emma Estrade : Deuxième question, tu as une place importante à la Fédération française de handisport, quel rôle tient ta formation dans cette fédération sportive ?
Guy Tisserant : Il y a trois, quatre ans maintenant, j'ai décidé de faire valoir mes droits à la retraite. Parallèlement, la présidente de la Fédération française handisport m'a demandé si je ne voudrais pas revenir au comité directeur, de m'occuper plus spécifiquement des sujets de partenariat, d'événementiel et de formation. On s'est vraiment dit qu'il y avait quelque chose de majeur à faire. Alors la raison principale, c'est quoi ? C'est que finalement la spécificité, la singularité, la richesse de la fédération, c'est son expertise. Une expertise dans le domaine de l'accueil des personnes handicapées, de l'accompagnement des personnes handicapées, de la pratique sportive, etc. Et donc, il y a beaucoup de clubs qui ne sont pas forcément adhérents ou affiliés à la fédération française de handisport mais aussi nos propres clubs à nous, nos bénévoles, nos professionnels, nos dirigeants, qui ont besoin d'être accompagnés, outillés, formés, sensibilisés, pour faire en sorte que l'accueil des personnes handicapées se passe du mieux possible. Donc on a tout un panel en fait d'actions qui peuvent aller de la sensibilisation. On entre dans le cadre par exemple d'une dispositif club inclusif en partenariat avec le CPSF et la Fédération française de sport adapté pour apporter donc du coup une expertise dans un registre donné. Et puis on a également des modules de formation, encore une fois, à destination des accompagnants, des aidants, des bénévoles, des professionnels, des salariés, des entraîneurs, des dirigeants... Justement pour qu'ils soient en mesure d'être mieux outillés pour accompagner et accueillir, dans les meilleures conditions, les personnes handicapées qui souhaitent faire du sport. Et pour respecter les trois grandes valeurs de la fédération que sont l'accomplissement, la singularité et l'autonomie, et donc les aider dans ce domaine. Donc la formation est vraiment un axe essentiel dans ce cadre-là.
Emma Estrade : En 2012, tu écris « Le handicap en entreprise, contrainte ou opportunité ». La situation aujourd’hui a-t-elle changé ?
Guy Tisserant : Alors dans la société en général, je pense que oui, les choses ont changé. On peut le constater dans le domaine de l'emploi, on peut le constater dans le domaine du sport, de la culture, etc. Même s'il reste encore beaucoup à faire, il y a quand même déjà des progrès qui ont été réalisés. Je vais vous donner un petit exemple dans le domaine du sport et puis un autre dans le domaine de l'emploi. Quand j'ai commencé à chercher un emploi, moi j'étais ingénieur de formation et quand, en 1985, j'ai commencé à vouloir chercher du travail, on m'a dit « Monsieur, ça ne va pas être possible pour vous, nos entreprises ne sont pas ouvertesaux personnes handicapées et notamment vous qui êtes en fauteuil. Et maintenant, je pense qu'il n'y a plus beaucoup d'entreprises qui diraient ça. Dans le domaine du sport, de la même façon, on peut constater qu'il y a quand même une vraie ouverture, puisque par exemple, moi, quand j'étais sportif de haut niveau, aujourd’hui, je n'ai pas une image de moi en train de jouer en vidéo, alors qu'au niveau de la couverture maintenant des Jeux paralympiques, on a quand même plus du tout la même chose.
On n'est pas encore à couverture équivalente à ce qui se passe pour l'ensemble des autres sportifs, mais globalement un gros progrès a été fait. Donc oui, les choses ont bien évolué et dans le domaine de l'emploi, notamment depuis la loi de 2005, il y a quand même beaucoup de choses qui ont bougé. Moi je dis souvent : en 2004, quand on a créé le cabinet, on connaissait moins bien le sujet probablement que beaucoup de responsables de missions handicap dans les entreprises d'aujourd’hui. Heureusement, on a continué à progresser et à développer nos compétences, ce qui fait qu'aujourd’hui on reste quand même encore « mieux sachant » j'allais dire que pas mal de gens. Donc oui ça a beaucoup progressé, le regard général a progressé, l'ouverture s'est bien améliorée, donc on est dans une bonne dynamique. Maintenant il y a encore beaucoup de choses à faire, il y a encore beaucoup de préjugés, beaucoup de stéréotypes, beaucoup de freins sur l'adaptation, sur le fait que les entreprises sont plutôt habituées à avoir des approches standardisées, qu'il faut quand même prendre en compte les singularités des gens.
Et c'est une question finalement qui traverse toute la société, au-delà du sujet de l'emploi et même du sport, c'est de dire quelle place on donne à la singularité, à la capacité de la personne de devoir être accompagnée et aidée pour venir compenser. La notion de compensation, qui est absolument fondamentale et qui a été instaurée par la loi de 2005 et qui reste aujourd’hui quand même encore assez peu connue, avec beaucoup de confusion par exemple entre discrimination positive, action positive, équité, tout ça... le traitement différencié est assez mal appréhendé. Donc là il y a probablement encore beaucoup de choses à faire mais je dirais, parce que je suis un peu optimiste aussi et parce que je l'ai constaté, qu'il y a eu des problèmes assez importants qui ont été faits ces dernières années.
Emma Estrade : La formation peut-elle être un levier d'inclusion pour les personnes en situation de handicap ? Si oui, comment ? Et si non, pourquoi ?
Guy Tisserant : Alors, c'est un des axes essentiels dans le domaine de l'emploi. Parce qu'en fait, statistiquement, les personnes handicapées sont assez nettement moins diplômées que l'ensemble de la population. On est aux alentours de 80% des gens qui n'ont pas le niveau Bac chez les personnes handicapées, contre environ 50% pour l'ensemble de la population. Si les personnes handicapées sont moins diplômées, il y a deux raisons majeures à ça. La première raison, c'est le fait que c'est plus compliqué pour les personnes handicapées d'atteindre des études supérieures. Premièrement, de la difficile parfois prise en compte des besoins spécifiques de la personne dans l'Éducation nationale.
Et la deuxième chose, c'est le fait qu'il peut y avoir des natures de handicap, comme le handicap mental par exemple, qui va finalement être un frein en soi-même. Donc pour eux, il y a une sorte de récupération, de compensation par rapport à de la formation qui peut leur permettre finalement d'aller au-delà de leur niveau initial de formation. Ça c'est un premier élément. Mais le deuxième élément qui est statistiquement, ou en tout cas en termes de nombre et de pourcentage le plus important, c'est le fait que l'une des principales causes de survenance du handicap, ce sont les accidents du travail et les maladies professionnelles. Or les accidents du travail et les maladies professionnelles surviennent majoritairement sur des métiers à faible qualification.
Et donc, de ce fait, on se retrouve avec des gens qui peuvent avoir un âge de 45, 50, 55 ans, qui ont un faible niveau de diplôme. Et donc là, la formation va être absolument fondamentale et essentielle. Pourquoi ? Parce que, comme ces gens vont avoir un faible niveau de qualification de base, retrouver un poste avec faible qualification de base, souvent les postes qui ont un niveau d'exigence de qualification de base assez faible sont des postes avec une forte contrainte physique souvent. Et donc du coup, comme ils vont avoir une inaptitude à leur poste, il est fort probable que retrouver un poste avec des contraintes physiques, ce soit très compliqué pour eux. Du coup, la formation va devenir un axe majeur de reconversion et de réinsertion professionnelle. Donc oui, la formation est un axe essentiel pour les personnes handicapées. Et c'est aussi un axe essentiel pour les entreprises parce qu'il faut former les gens pour qu'ils sachent finalement comment faire pour appréhender et accueillir des personnes handicapées.
Emma Estrade : Que penses-tu de l'accessibilité en digital learning à ce jour ?
Guy Tisserant : Alors, il y a encore beaucoup de choses à faire. Je vais donner un exemple. Dans le cabinet dans lequel j'étais auparavant, on a développé pas mal d'outils de digital learning. Évidemment, vu que le sujet était celui de la non-discrimination, on avait quand même comme objectif n°1 de faire en sorte que nos outils soient tous complètement accessibles. Pour trouver une plateforme de LMS accessible, c'était l'enfer. On n'a jamais réussi à trouver une plateforme complètement accessible. À la plateforme qu'on a choisie, on leur a fait faire des progrès énormes sur l'accessibilité parce qu'ils n'étaient pas du tout au niveau par rapport à ça.
Donc, il reste encore beaucoup de travail à faire là-dessus. Ça commence à avancer. Ce qui est malheureux, c'est que les gens croient que ça coûte plus cher ou que c'est plus compliqué de faire des outils accessibles, alors qu'en réalité, une fois qu'on le prévoit dès le début, ce n'est pas vrai. Enfin, si tant est que les plateformes elles-mêmes soient déjà accessibles. Mais sinon, non. En fait, c'est d'ailleurs mieux accessible pour tout le monde et pas uniquement pour les personnes qui ont des situations de handicap. Donc c'est important de travailler encore là-dessus et ça vraiment il y a encore beaucoup beaucoup de travail à faire et pourtant tout ce qui est digital en général, et digital learning en particulier, sont des outils formidables pour des gens par exemple qui peuvent avoir des déficiences visuelles, des déficiences auditives, voire des problématiques de mobilité, c'est quand même super.
Emma Estrade : Et enfin, dernière question : en imaginant qu'on ne se rappelle que des dernières secondes de cette interview, qu'aurais-tu envie qu'on emporte avec nous ?
Guy Tisserant : Il y a quelqu'un qui a dit un jour : « La valeur d'une société se mesure à l'aune de l'attention qu'elle prend pour ses personnes les plus fragiles ». Et je pense que la prise en compte du sujet du handicap et, plus globalement, de la singularité et de la non-discrimination, c'est vraiment ce qui mesure le niveau d'avancement d'une société. Je pense qu'aujourd’hui, on a quand même vraiment beaucoup besoin d'être attentif à la fragilité, à la vulnérabilité des gens parce qu'on a eu pendant tellement de temps - et encore aujourd’hui - des messages qui nous disent qu'on doit tous être des sur-hommes, des sur-femmes, être parfaits, etc. -, alors qu'en réalité, la lumière ne passe que par les fêlures en fait. Et donc l'innovation, c'est aussi le fait des déviants. C'est des petites phrases comme ça qui mettent en lumière le fait que la prise en compte de la singularité, des besoins spécifiques des personnes : c'est ce qui fait qu'on vit mieux tous ensemble. Et je pense que dans notre société qui est quand même assez facturée, la prise en compte, le respect, la prise en compte des particularités des uns et des autres, dans le respect mutuel qui prend en compte le sujet du handicap, prend en compte le sujet de la différence et du coup s'adresse à 100% des gens puisqu'on est tous singuliers.
Emma Estrade : Et bien merci beaucoup Guy, c'était très inspirant et très chouette.
Guy Tisserant : Bon, et bien avec plaisir.
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